L’analyse du fonctionnement d’une zone humide permet de se rendre compte à quel point les paysages agricoles qui nous entourent au quotidien sont des constructions artificielles. C’est le cas par exemple du secteur d’Adé, petite commune du nord de Lourdes, porte d’entrée d’une vallée fossile. Les pulsations successives du puissant glacier provenant de la vallée d’Argelès y ont formé un vallum frontal relativement étendu ; il en subsiste de nombreux indices, tant par la présence de drumlins, de comblements glacio-lacustres, que de moraines frontales dont les plus évidentes sont celles du Tydos et de Saulx. L’ensemble peut être pleinement apprécié depuis le sommet du pic du Ger.
cartes IGN et géol du secteur d’étude (issues du Géoportail de l’IGN)
Or, cette zone est depuis peu le siège d’un inventaire des zones humides lié à un projet d’aménagement ; de façon originale, le Maître d’Ouvrage a dans ce cadre sollicité la fourniture d’un modèle de fonctionnement des zones humides inventoriées, modèle dont je m’occupe avec Pyrénées Cartographie. Nous avons abordé cette question par une double approche, pédologique d’une part et géomatique d’autre part. La partie géomatique est assez complexe et fait appel à de nombreux traitements destinés à mettre en évidence les zones de transferts, d’accumulation et la géomorphologie d’un site très hétérogène. Surtout, il s’agit d’une approche sans a priori sur la question des écoulements, avec une couverture raster de base suffisamment précise pour autoriser des calculs fins. L’approche pédologique est orientée à la fois par les modèles d’écoulement élaborés au préalable et par l’analyse classique du pédologue de terrain.
La confrontation des deux disciplines produit des résultats inattendus. Par exemple, des parcelles actuellement cultivées (prairies et maïs) incluses dans des zones de transfert lent prédites par le modèle, s’avèrent recéler en profondeur des paléo-histosols c’est à dire des tourbières recouvertes. La surface concernée est en outre loin d’être négligeable. Or, aucun indicateur végétal de surface ne permet d’envisager la présence de tourbières enfouies. De même, les modèles suggèrent des modifications sévères des écoulements hydrauliques : certains ruisseaux n’occupent plus leur lit géomorphologique, voire même sont carrément détournés et capturés hors de leur bassin versant initial, par exemple d’un écoulement vers l’Adour à un écoulement vers le Gave. La pédologie permet alors de repérer les anciens chenaux.
Il nous manquait alors une troisième discipline pour confirmer ou non les hypothèses de travail : c’est l’analyse historique. Les cartes les plus anciennes ne permettent pas en effet de confirmer les captures ou de valider d’anciennes occupations du sol. En revanche, le dépouillement des archives de toutes sortes donne de précieuses indications ; c’est le travail auquel s’adonne avec passion un ancien agrégé d’histoire habitant du secteur et qui nous a considérablement aidé dans notre démarche. Les archives révèlent ainsi des procès pour détournement d’eau au cours du 18e siècle, l’importance des soutiens d’étiage des rivières dans une plaine alluviale fossile vouée à une agriculture de plus en plus intensive et nécessitant une irrigation par submersion, le déroulement des travaux hydrauliques pour modifier les cours d’eau et assainir des cuvettes à partir desquelles sévissaient des épidémies de malaria, les travaux de comblement des anciens palus, etc. Il en ressort alors une vision très dynamique de la période 17e – 19e avec des modifications très sévères de l’occupation du sol, de la gestion sociale et économique du foncier, une véritable accélération de l’artificialisation du paysage ; cette évolution a vraisemblablement débuté bien avant cette période avec entre autres le comblement progressif des marais et la constriction des plaines d’inondation. Cette vision agronomique de l’histoire d’un territoire est passionante et l’identification des marqueurs pédologiques est un challenge. Dans tous les cas, il apparait clairement qu’un simple inventaire de l’occupation du sol actuelle réduit considérablement les enseignements que peuvent produire plusieurs disciplines transversales.